Conférence thérapeutique annuelle CHDI - Première session du 27 février 2024

Devoirs huntingtine – Enseigner de nouvelles astuces à un vieux dogme ? (recherche fondamentale)
Mis en ligne le 15 mars 2024


La première session de la conférence est axée sur le gène huntingtin, lequel se développe et cause la maladie de Huntington. Elle a débuté avec Gill Bates qui a rappelé ce que nous connaissions sur la génétique de la MH, à savoir que la longueur des répétitions CAG dans le gène huntingtin détermine si les personnes développeront la MH. Plus récemment, l’allongement de la répétition CAG dans certaines cellules cérébrales, connu sous le nom d’expansion somatique, a été impliqué dans la progression de la maladie.

De nombreuses questions demeurent sans réponse s’agissant de la manière exacte selon laquelle l’expansion CAG entraîne la mort des cellules cérébrales. Cette session a abordé un large éventail d’approches aux niveaux épigénétique, ARN et protéique.

Karine Merienne : les étiquettes ADN dans le striatum

La première intervenante de la conférence était Karine Merienne de l’Université de Strasbourg qui nous a parlé de modifications dans certains types de marqueurs de la maladie Huntington associés au vieillissement. Karine a rappelé que la raison pour laquelle les cellules nerveuses du striatum sont si vulnérables à l’expansion CAG du gène huntingtin demeure un mystère. Une hypothèse qu’elle étudie porte sur les modifications dans la façon dont les gènes sont activés et désactivés.

Les recherches de Karine examinent comment des changements dits épigénétiques se produisent dans le cadre de la maladie de Huntington. Il ne s’agit pas de modifications dans le code ADN lui-même mais de certains marqueurs qui affectent la façon dont l’ADN est conditionné. Cela modifie à leur tour les gènes activés et désactivés, ce qui affecte les propriétés des cellules faisant d’une cellule nerveuse une cellule nerveuse ou d’une cellule cutanée une cellule cutanée.

Les marqueurs épigénétiques se modifient avec l’âge chez toutes les personnes et pas seulement chez les personnes atteintes de la MH. L’équipe de Karine a constaté que certains marqueurs épigénétiques sont altérés plus tôt chez des modèles murins de la MH. Ils ont été en mesure, à l’aide de technologies de pointe, d’observer les modifications apportées aux marqueurs au niveau de simples cellules cérébrales provenant d’une souris. Ils ont constaté qu’il manquait aux cellules nerveuses du striatum, la zone cérébrale vulnérable dans le cadre de la MH, un marqueur épigénétique important.

Cela fournit un aperçu de la raison pour laquelle les cellules du striatum pourraient être plus susceptibles de tomber malades chez des personnes atteintes de la MH. Peut-être que si on parvenait à corriger ces marqueurs épigénétiques, on pourrait à nouveau améliorer les cellules. 

Yinsheng Wang : les marqueurs chimiques font des ravages

Le prochain intervenant de la matinée était Yinsheng Wang de l’Université de Californie à Riverside, lequel étudie comment les molécules du message génétique sont modifiées avec des marqueurs chimiques dans le cadre de la maladie de Huntington et d’autres maladies CAG.

Les CAGs répétitifs dans le message du gène huntingtin peuvent être étiquetés avec des molécules supplémentaires. Au cours de la maladie de Huntington, des marqueurs supplémentaires peuvent, de manière inappropriée, recruter des protéines dans la cellule, les absorbant et les empêchant de remplir leur fonction normale. Il est intéressant de noter que ces modifications des marqueurs moléculaires du message huntingtin semblent apparaître le plus souvent dans le striatum des souris MH. Serait-ce une autre raison pour laquelle ces cellules cérébrales deviennent les plus malades ?

Des processus moléculaires spéciaux ajoutent ou suppriment ces marqueurs sur la molécule du message huntingtin. Yinsheng et ses collègues ont déterminé lequel de ces processus était responsable des modifications qu’ils pouvaient évaluer. S’ils supprimaient ce processus, les marqueurs de la molécule message redevenaient normaux.

Ils ont également constaté que les modifications dans les marqueurs moléculaires altèrent la capacité du message huntingtin à adhérer à une protéine appelée TDP-43, laquelle joue un rôle dans d’autres maladies neurodégénératives (comme la protéine huntingtine, la protéine TDP-43 peut également former des amas). La protéine, ainsi que ses répétitions CAG et marqueurs, peuvent affecter la formation de ces amas. Les données de cette équipe suggèrent que des répétitions expansées sur la molécule du message huntingtin ont conduit à l’agglutination de TDP-43.

Yinsheng explique une autre façon selon laquelle les marqueurs chimiques sur la molécule du message huntingtin peuvent faire des ravages dans la cellule : en provoquant le dysfonctionnement de la molécule de message et la production de protéines toxiques, cette dernière n’est pas censée coder. Peut-être que si on parvenait à restaurer la façon dont la molécule du message huntingtin est marquée par ces processus moléculaires, les cellules cérébrales seraient moins malades. Il s’agit d’une nouvelle voie intéressante pour la recherche sur la découverte de médicaments dans le cadre de la MH.

Jeff Carroll : à quel niveau devrions-nous descendre ?

Jeff Carroll de HDBuzz, dont le laboratoire est situé à l’université de Washington, a étudié la diminution de la huntingtine chez des modèles murins MH. Il s’interroge sur ce qu’il peut faire pour accélérer et améliorer les stratégies cliniques de diminution de la huntingtine. Une question majeure est de savoir dans quelle mesure réduire la huntingtine et dans quels types de cellules améliorer les symptômes de la MH sans effets négatifs.

Les questions clés, auxquelles l’équipe de Jeff tente de répondre, sont les suivantes : à quel point le niveau est-il trop bas pour réduire la huntingtine et jusqu’où devons-nous aller pour obtenir un effet positif ? Les expériences sur les souris ont montré que trop diminuer pourrait ne pas être bon. L’un des projets, sur lesquels le laboratoire de Jeff travaille, consiste à diminuer la huntingtine chez des souris adultes. Cela représente ce que les chercheurs font en clinique en donnant aux personnes adultes atteintes de la MH différents types de médicaments pour diminuer les taux de la protéine huntingtine.

Le laboratoire de Jeff a constaté que supprimer complètement la huntingtine dans le cerveau des souris n’était pas sans danger – celles-ci avaient littéralement des trous dans leur cerveau ! Bien entendu, la suppression complète de la huntingtine dans le cerveau humain n’est pas l’objectif des essais cliniques. L’astuce consistera probablement à trouver le bon équilibre. Jeff réitère que cela ne signifie pas que la diminution de la huntingtine est une mauvaise idée en soi, on doit simplement déterminer le niveau à atteindre.

On sait, grâce aux études génétiques, qu’une diminution de 50% (ce que visent la plupart des essais cliniques) semble être acceptable chez l’homme et les modèles animaux MH mais peut-être que descendre plus bas n’est pas une bonne idée. Une chose intéressante que le groupe de Jeff a notée est que la diminution de la huntingtine avec des médicaments ASOs chez les souris semble modifier l’instabilité somatique, l’expansion de la répétition CAG dans certaines cellules. Cela semble se produire dans le foie à des doses très élevées d’ASOs. Comprendre pourquoi c’est le cas a été très compliqué !

Plus important, des approches cliniques utilisant de plus faibles quantités de médicaments ASOs feraient-elles la même chose ? Il ne semble pas que ce soit le cas. Mais, c’est probablement une chose que les scientifiques devraient surveiller à l’avenir.

L’équipe de Jeff a ensuite examiné des approches sélectives de diminution – des thérapies ciblant uniquement la huntingtine toxique et laissant les niveaux de la huntingtine normale intacts. Ils ont à nouveau constaté que l’instabilité somatique semblait être bloquée par ces traitements – cela pourrait être bien d’avoir deux thérapies pour le prix d’une !

Dans l’ensemble, les travaux de Jeff nous aident à mieux comprendre ce que signifie la diminution de la huntingtine au niveau moléculaire, ce qui nous aidera à mieux comprendre ce qui se passe dans les essais cliniques en cours, ainsi que toutes les considérations supplémentaires auxquelles nous pourrions avoir besoin de réfléchir.

Ileana Cristea : la huntingtine et ses partenaires de danse

Ileana Cristea dirige un groupe de recherche à l’université Princetonoù ils étudient la protéine huntingtine et d’autres avec lesquelles elle aime cohabiter dans les cellules et la manière dont ces relations changent dans le cadre de la maladie de Huntington. Ces travaux s’inscrivent dans le domaine de la recherche « omique » où les chercheurs examinent les changements dans les protéines et la manière dont elles interagissent dans de nombreuses cellules, tissus et zones cérébraux. Il existe un énorme effort de collaboration.

L’intervention d’Ileana a porté sur le thème de la question de savoir pourquoi certaines cellules tombent malades dans le cadre de la MH alors que d’autres semblent aller bien. Son laboratoire examine l’emplacement des différentes protéines et celles qui cohabitent. Ils tentent de comprendre ce qui provoque la maladie et quelles sont les conséquences de la diminution des niveaux de la huntingtine avec des médicaments. Pour ce faire, ils étudient quelles protéines interagissent en présence et en l’absence de la huntingtine.

Ils ont découvert que dans les cellules de souris ne possédant pas la protéine huntingtine, les taux de toutes sortes de protéines ont été modifiés, ainsi que les protéines qui cohabitaient ensemble. Les changements les plus importants se sont produit dans les protéines avec des emplois dans la génération d’énergie et la réparation de l’ADN. L’étape suivante consistait à comprendre comment ces changements menaient à la maladie. Ils se sont donc concentrés sur le striatum des souris MH dans la mesure où il s’agit de la région la plus affectée dans le cadre de la MH.

Ils ont réduit une liste de protéines impliquées dans des fonctions cellulaires spécifiques qui pourraient fournir des indices sur ce qui ne va pas dans le cadre de la MH. Après avoir observé une vue d’ensemble des réseaux qui interagissent, ils ont confirmé certains de leurs « succès » en collaboration avec des scientifiques travaillant sur d’autres modèles et techniques, tels que les cellules et les mouches à fruits. Dans différents types de cellules, différentes protéines de la huntingtine sont modifiées, ce qui pourrait, encore une fois, expliquer pourquoi différentes cellules sont affectées de différentes manières dans le cadre de la MH.

L’équipe d’Ileana peut non seulement déterminer avec quelles protéines la huntingtine cohabite mais également à travers quelles surfaces elles pourraient toutes se lier, donnant ainsi une vue moléculaire très détaillée de ce qui se passe dans le cadre de la MH. Bien que ce type d’étude puisse paraître granulaire, cela est en fait très important pour nous aider à comprendre exactement ce qui ne va pas dans le cadre de la MH. Cela nous aide également à identifier de nouveaux gènes et nouvelles protéines qui pourraient constituer de bonnes cibles pour les futurs efforts de découverte de médicaments.

Tony Reiner : les modèles d’amas de huntingtine

Le dernier intervenant de la matinée est Tony Reiner, basé  au Health Science Center de l’université de Tennessee. Son équipe a étudié l’emplacement de la forme pathologique de la protéine huntingtine dans les cerveaux de l’homme et des souris.

Tony a tout d’abord rappelé les parties spécifiques du cerveau qui sont les plus vulnérables dans le cadre de la maladie de Huntington. Le striatum, situé au centre même du cerveau, est l’une des régions cérébrales les plus affectées mais les cellules nerveuses du cortex et du thalamus sont également affectées. Les régions cérébrales qui produisent une grande quantité de protéine huntingtine ne sont pas nécessairement celles les plus affectées dans le cadre de la MH. La huntingtine ordinaire se trouve en réalité partout, cela ne semble donc pas expliquer pourquoi les cellules dans le striatum sont si vulnérables.

Les protéines huntingtine se déclinent en de nombreuses formes différentes – expansées, fragmentées, agglutinées et autres. L’équipe de Tony utilise des anticorps comme outils afin de visualiser les différentes formes de la protéine huntingtine dans le cerveau. Ils ont commencé en regardant dans le cerveau des souris MH et ont essayé de faire correspondre cela avec des tissus de personnes atteintes de la MH ayant fait don de leur cerveau à la recherche après leur décès. Cet acte altruiste a été essentiel pour générer des données permettant de savoir ce qui passe dans le cerveau humain avec la maladie Huntington.

Les chercheurs peuvent évaluer de nombreux changements dans les cellules cérébrales au fil du temps mais on ne sait pas encore très clairement quels sont les changements rendent les cellules malades. Les travaux de Tony montrent que l’augmentation des amas de protéines et d’autres évaluations ne semblent pas toujours correspondre avec les cellules qui, on le sait, tombent malades. Les travaux du laboratoire de Tony et d’autres s’intéressent vraiment à ces évaluations au niveau des différents types de cellules, ce qui pourrait, un jour, nous aider à mieux comprendre les causes et les effets. 

Traduction Libre (Dominique C . - Michelle D.)

Source :   - Article des Dr. Rachel Harding - Dr Sarah Hernandez et Dr. Léora Fox du 5 mars 2024