Observation de la protéine huntingtine toxique
De nouveaux outils permettent de "voir" les amas de protéines huntingtine toxiques qui s’accumulent au fil du temps dans le cerveau des personnes atteintes de la MH.
Mis en ligne le 27 décembre 2021

De nouveaux outils permettent aux scientifiques de "voir" les amas de protéines huntingtine toxiques qui s’accumulent au fil du temps dans le cerveau des personnes atteintes de la MH. Le suivi de ces amas pourrait les aider à mieux comprendre comment la maladie de Huntington progresse ou comment des traitements pourraient la ralentir ou la stopper.

Des scientifiques ont développé un outil permettant de "voir" les amas toxiques de protéines huntingtine à l’aide de scanners spéciaux. Les personnes atteintes de la MH fabriquent une forme toxique de la protéine huntingtine, laquelle forme des amas dans les cellules de leur corps qui s’accumulent au cours de la progression de la MH. Suivre comment se forment ces amas au fil du temps chez les personnes MH, ou comment ils se modifient lorsque les personnes MH prennent différents traitements, pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre la progression de la MH et mieux connaître les médicaments à même d’aider les patients.

Quels sont ces amas de protéine ?

Tout le monde possède deux copies du gène huntingtin mais pour les personnes atteintes de la MH, l’une de leurs copies présente un type de mutation appelé une expansion de répétitions. Cette mutation se produit dans un morceau répétitif du code ADN du gène huntingtin, dont les lettres "C", "A" et "G" se répètent encore et encore. Si une personne n'est pas atteinte de la MH, elle possèdera moins de 35 répétitions CAG dans son gène huntingtin mais pour les personnes MH, la mutation signifie qu’elles possèderont plus de 35 répétitions CAG dans l’un de leurs gènes huntingtin.

Le gène huntingtin est la recette que nos cellules utilisent pour fabriquer la protéine huntingtine, de sorte que si le code ADN de cette recette est modifié, la protéine que notre corps fabrique sera également modifiée. Les protéines sont produites à partir de longues chaînes de substances chimiques appelées acides aminés, en suivant les instructions contenues dans l'ADN. Les lettres de l’ADN "CAG" sont les notes de recette pour l’acide aminé glutamine, ce qui signifie que si le nombre de répétitions CAG augmente, la protéine huntingtine aura beaucoup plus de glutamines répétées. Les molécules de protéine huntingtine contenant trop de glutamines ne peuvent pas s’assembler correctement et peuvent donc former des amas toxiques.

On connaît ces amas depuis longtemps maintenant et ceux-ci peuvent être observés dans le cerveau des personnes MH lorsqu'on les regardeau microscope. Cependant, le suivi de ces amas chez des patients vivants a été un défi et la plupart des connaissances à leur sujet proviennent de leur observation dans des échantillons de cerveau post-mortem issus de modèles animaux MH ou de patients ayant fait don de leur cerveau à la recherche.

Pourquoi veut-on "voir" ces amas ?

Des scientifiques de nombreux laboratoires du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie, de la Suède et des Etats-Unis ont développé des outils moléculaires permettant désormais de "voir" ces amas chez des animaux vivants, et espérons-le, bientôt chez des patients MH. Ces outils se lient aux amas de protéines huntingtine et possèdent des étiquettes chimiques, appelées radiomarqueurs, ce qui signifie qu’ils s’allument lorsqu’ils sont examinés par scan TEP (tomographie par émission de positons).

Ce type d’outils moléculaires est connu sous le nom de traceurs TEP, et est utilisé dans de nombreux contextes médicaux et diagnostiques différents afin de permettre aux médecins et chercheurs d’imager des parties spécifiques de notre corps.

Différents types de traceurs peuvent être avalés, injectés ou inhalés selon la partie du corps examinée. Une fois que le patient a un traceur TEP dans son corps, celui-ci sera scanné, et la partie du corps examinée s’allumera si la cible du traceur est là car le traceur est légèrement radioactif. Des outils similaires ont été développés pour étudier d’autres maladies, tels que le composé B de Pittsburg qui est utilisé pour examiner des amas similaires chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Mettre au point des traceurs TEP, permettant aux chercheurs de "voir" les amas toxiques de protéines huntingtine, est une idée attractive pour de nombreuses raisons. Premièrement, un scan TEP peut être réalisé sur des patients à plusieurs moments de leur vie afin de pouvoir suivre la manière dont les amas s’accumulent au fil du temps tout au long de la progression de la MH. Bon nombre de nos méthodes actuelles pour examiner les amas de huntingtine dans le cerveau d’un patient ne peuvent être actuellement utilisées qu’à la toute fin de la maladie sur des tissus post-mortem.

Deuxièmement, les scans TEP sont des procédures non-invasives et permettent de "voir" directement dans le cerveau alors que des procédures plus intrusives, comme l’évaluation de la protéine huntingtine dans le liquide céphalo-rachidien, ne fournissent qu’une approximation de ce que l'on pense se produire dans le cerveau. Troisièmement, les amas sont formés à partir de la forme toxique de la protéine huntingtine, de sorte que les scans TEP permettront aux chercheurs de mesurer spécifiquement les changements de cette forme spécifique de huntingtine mutante. Cela diffère de la plupart des façons dont on mesure et analyse la huntingtine dans le liquide céphalo-rachidien ou le sang, qui mesurent toutes les différentes formes de la huntingtine, y compris la protéine huntingtine saine.

Développement du permier ligand TEP de la huntingtine

Au mois d’août dernier, une première version de ces outils a été publiée, appelée CHDI-180R – la première fois qu’un traceur TEP a été conçu pour la protéine huntingtine ! Une équipe menée par Celia Dominguez de la Fondation CHDI a montré que la molécule outil CHDI-180R était capable de se lier très étroitement aux amas de protéines huntingtine toxiques dans un tube à essai. Ils ont également utilisé CHDI-180R pour montrer où se situaient les amas de la huntingtine toxique dans des échantillons de cerveau provenant de modèles murins MH.

Dans le cerveau des souris porteuses de la mutation MH, des amas de protéines huntingtine toxiques ont pu être observés dans de nombreuses régions cérébrales différentes, connues pour être affectées par la MH, alors que chez les souris sans mutation MH, ces amas n’ont pas pu être observés, même si celles-ci avaient également reçu une injection de la molécule outil CHDI-180R. Enfin, les scientifiques ont montré que CHDI-180R se propageait bien dans le cerveau et était également sans danger avec aucun effet secondaire chez les singes et les rats.

Affiner les outils

Le développement d’un traceur TEP nécessite souvent plusieurs tentatives avant qu’un outil optimal ne soit trouvé, de sorte que le même groupe international de scientifiques développe également d’autres versions de ce traceur afin de disposer de nombreuses options de sauvegarde. Ces versions (espérons-le) nouvelles et améliorées de l’outil moléculaire sont testées afin de déterminer comment elles se propagent dans le cerveau des animaux testés.

D’autres maladies, comme celle d’Alzheimer, ont également des amas de protéines qui s’accumulent dans les cellules nerveuses mais ceux-ci sont constitués d’autres protéines potentiellement toxiques, comme la bêta-amyloïde.
Les scientifiques vérifient également la spécificité de ces outils pour les amas de protéines huntingtine s’accumulant au fil du temps chez les patients MH par rapport à d’autres amas de protéines de la maladie, comme ceux des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Jusqu’à présent, les résultats ont été très encourageants, de sorte que les scientifiques souhaitent maintenant commencer à tester les traceurs chez l’homme.

Alors, quelle est la suite ?

Un essai clinique est en cours, appelé étude iMagenHTT, lequel étudiera le traceur huntingtin chez l’homme. L’essai utilisera l’imagerie TEP/IRM pour comprendre comment le ligand TEP suit la huntingtine dans le cerveau. Les scientifiques ont déjà rendu compte de certaines données préliminaires encourageantes de l’étude de phase I s’agissant de ce traceur lors de la conférence virtuelle CHDI. Jusqu’à présent, les résultats sont encourageants, ils continuent donc d’ajouter des participants à l’étude.

La quantité d’amas de huntingtine dans le cerveau des personnes MH est un bon biomarqueur de la progression de la maladie. Les biomarqueurs sont des mesures objectives que les scientifiques et cliniciens peuvent prendre pour suivre la progression de la MH, ce qui peut être important pour déterminer les meilleures options de traitement, ainsi que pour savoir si les traitements agissent correctement. Il est possible qu’à l’avenir les patients MH soient surveillés par scan TEP à l’aide de ce type d’outils.

Si les ligands TEP agissent comme l’espèrent les scientifiques, ils pourraient également être utilisés pour suivre la diminution de la huntingtine dans le cerveau lors de futurs essais. Malgré quelques revers, la diminution de la huntingtine demeure une stratégie prometteuse pour traiter la MH, laquelle est poursuivie par les compagnies Norvatis, PTC Thérapeutics, Wave et Uniqure qui ont toutes des essais cliniques en cours. Indépendamment de ce qui se passe avec la diminution de la huntingtine, ces nouveaux outils très intéressants donnent aux scientifiques la possibilité, pour la première fois, de suivre la protéine huntingtine mutante dans l’ensemble du cerveau de patients MH vivants, ce qui est une énorme avancée.   

Traduction Libre (Dominique C . - Michelle D.)

Source  - Article de Rachel Harding du 8 décembre 2021