De nouvelles perspectives sur les raisons de l'apparition tardive de la maladie de Huntington

De nouveaux travaux mettant en question les théories de la recherche sur la maladie de Huntington
Mis en ligne le 10 février 2025   


De nouveaux travaux remettent en question les théories actuelles de la recherche sur la maladie de Huntington, en révélant comment les répétitions incontrôlées de CAG érodent l’identité cellulaire dans certains types de cellules cérébrales, entraînant leur mort.

Les personnes, qui développent la maladie de Huntington, sont nées avec une modification génétique, responsable de la maladie. Alors, pourquoi faut-il des décennies, généralement entre 40 et 50 ans, pour que les symptômes de la maladie apparaissent ? Et pourquoi certaines cellules cérébrales sont plus susceptibles de mourir que d’autres ? Ces points ont  toujours été des questions clés dans le domaine de la maladie de Huntington. Une nouvelle étude du laboratoire du Dr. Steven McCarroll, apporte de nouvelles perspectives sur ces questions et pointe du doigt les répétitions CAG qui sont la base génétique de la MH.

Un bégaiement génétique

Au niveau génétique, la maladie de Huntington est causée par la répétition des lettres C-A-G dans le code génétique du gène huntingtin. Cependant, chaque individu possède le gène huntingtin. En réalité, l'homme possède une série de CAGs qui se répète dans le gène huntingtin. Mais, les personnes qui développent la MH possèdent quant à elles des répétitions CAG supplémentaires dans leur gène huntingtin – 36 ou davantage. On peut considérer cela comme un bégaiement génétique.

Lors de l’une des plus grandes avancées dans la recherche MH, les scientifiques ont découvert que ce bégaiement génétique s’amplifie dans certaines cellules au fil du temps. Il s’agit d’un phénomène biologique appelé « instabilité somatique », parfois appelé  également « expansion somatique ». Il s’agit de l’expansion perpétuelle de la répétition CAG dans certains types de cellules « somatiques » ou cellules du corps. Les chercheurs ont découvert que le nombre de CAGs explose dans certaines cellules, atteignant parfois jusqu’à 1 000 répétitions !

Cependant, certaines cellules sont plus vulnérables à ces effets de la MH que d’autres. Même si l’expansion, responsable de la MH, se trouve dans chaque type de cellule du corps d’une personne, les signes moléculaires de la maladie sont beaucoup plus apparents dans certains types de cellules, en comparaison à d’autres.

  Inégalité des cellules

Les cellules cérébrales sont les plus affectées par la maladie de Huntington. Cependant, il existe de nombreux types différents de cellules cérébrales, et ils ne sont pas tous affectés de la même façon. Lorsque les personnes pensent aux cellules cérébrales, elles pensent généralement aux neurones, ces cellules en forme d’arbre qui dirigent nos pensées, nos sentiments et nos mouvements.

Mais, il existe également d’autres types de cellules cérébrales : les cellules gliales sont des cellules de soutien, fournissant structure, nutriments et maintiennent le cerveau en bonne santé; les cellules endothéliales contribuent à former la barrière hémato-encéphalique empêchant des substances nocives, comme les virus, et certains médicaments de pénétrer dans le cerveau. Il existe même différents sous-types de neurones !     

Les neurones épineux moyens, ou MSNs, sont un type de cellule cérébrale se situant dans une région du cerveau appelée le striatum, lequel se trouve exactement au milieu de la tête. Les neurones épineux moyens sont utiles pour contrôler le mouvement et la coordination, et sont particulièrement vulnérables à la mort à mesure que la maladie de Huntington progresse. On le sait depuis des décennies mais personne ne sait réellement pourquoi. Cependant, de nouvelles techniques expérimentales, telles que celles utilisées par l’équipe du Dr McCarroll, rapprochent les chercheurs de la réponse.

Le séquençage de l'ARN d'une cellule unique

L’équipe du Dr. McCarroll a utilisé une technique appelée « le séquençage de l’ARN d’une cellule unique » qui leur a permis d’examiner les signatures génétiques individuelles de chaque cellule lors de l'analyse d'échantillons cérébraux. Les nouvelles techniques à cellule unique font progresser les connaissances des chercheurs s’agissant de la maladie de Huntington car elles transforment la façon dont ils analysent les échantillons.

Il y a une dizaine d’années, si l’on voulait observer les changements moléculaires dans un échantillon de tissu, il fallait le découper et l’analyser. Cela donnait une idée assez précise des taux de molécules au sein d’un échantillon entier mais on n’était pas en mesure de dire quelles cellules produisaient quelles molécules.

Les techniques à cellule unique permettent aux chercheurs de grossir et d’observer chaque cellule d’un échantillon de tissu et ainsi obtenir une compréhension beaucoup plus approfondie de la composition de cet échantillon.

Expansion dans les cellules cérébrales

Lorsque les chercheurs ont utilisé le séquençage d’une cellule unique sur des cerveaux de personnes atteintes de la maladie de Huntington, ils ont découvert que les expansions CAG étaient profondes dans les neurones épineux moyens mais pas dans les autres types de cellules cérébrales, telles que les cellules gliales ou d’autres types de neurones. Les auteurs suggèrent que les chercheurs devraient peut-être revoir leur façon de penser - plutôt que de se demander pourquoi les neurones épineux moyens sont particulièrement vulnérables à la mort cellulaire dans le cadre de la MH, peut-être se demander pourquoi l’expansion somatique prévaut davantage dans certains types de cellules, tels que les neurones épineux moyens.

A partir de là, ils ont pu extraire le nombre exact de répétitions CAG dans chaque neurone épineux moyen pour chaque échantillon cérébral. Ils ont ensuite pu le comparer à tous les autres changements génétiques dans chaque cellule. Il s’agit là d’une très grande quantité de données !

La cartographie du nombre de répétitions CAG avec les changements génétiques leur a permis de calculer les perturbations dans ces cellules. Il est intéressant de noter qu’ils ont découvert que certaines longueurs de répétitions CAG étaient liées à la quantité de perturbations génétiques dans les neurones épineux moyens.  Ainsi, des cellules ayant entre 36 et 150 répétitions CAG ne semblent pas présenter des signes de perturbations génétiques. Mais une fois que les répétitions CAG sont supérieures à 150 CAGs, les changements observés étaient énormes, ce qui suggère que quelque chose survient dans les neurones épineux moyens, une fois la longueur CAG atteint 150 CAG ou davantage, pour perturber les signatures génétiques de la cellule. Mais quoi ?

Identité érodée

Les chercheurs ont étudié en profondeur les changements moléculaires survenant dans les neurones épineux moyens ayant des répétitions CAG extra-longues de 150 CAG ou davantage. Ces changements  étaient impliqués dans l’identité du neurone épineux moyen lui-même – des gènes qui font d’un neurone épineux moyen un neurone épineux moyen et non un autre type de cellule nerveuse.

Tel qu’on l’a vu, il existe différents sous-types de neurones dans le cerveau. Ce qui leur donne leur identité unique, ce sont les gènes et molécules qu’ils produisent. Certains neurones produisent des molécules qui inhibent l’activité d’autres neurones, assurant des mouvements contrôlés et précis. On les appelle « neurone inhibiteurs ». D’autres produisent des molécules qui accélèrent ou excitent la signalisation entre les cellules cérébrales, ce qui les définit comme neurones « excitateurs ». Ces définitions aident les chercheurs à classifier les neurones en fonction de leur identité.

A mesure que les répétitions CAG s’étendaient jusqu’à 150 et au-delà, les chercheurs ont découvert que les neurones épineux moyens commençaient à perdre les signatures génétiques de leur identité cellulaire. Les gènes qui auraient dû désactivés ont été activés et ceux qui devaient être activés ont été désactivés. Les caractéristiques qui les ont définis comme neurones épineux moyens ont été érodées. Notamment, dans les neurones épineux moyens avec des répétitions ultra longues, ils ont découvert que les cellules semblaient activer des gènes provoquant la mort cellulaire, fournissant peut-être un indice quant à la raison pour laquelle un type de cellule spécifique est si vulnérable dans le cadre de la MH.

Une fois que les cellules atteignent le nombre de 80 CAGs, les expansions commencent à se produire plus rapidement, de l’ordre de plusieurs années. A 150 répétitions CAG, ce processus s’accélère encore davantage dans leur modèle, et il ne faut que quelques mois pour acquérir des centaines de répétitions CAG supplémentaires. Ce n’est que lorsque les CAGs atteignent une longueur de 150 répétitions, ou plus, que les chercheurs commencent à observer des effets néfastes sur les cellules.

Les auteurs détaillent une hypothétique situation pour une personne ayant hérité 40 CAGs. Ils postulent que la première phase de l’expansion se produit lentement dans les neurones épineux moyens, prenant environ 50 ans pour passer de 40 répétitions CAGs à 60 répétitions CAGs. La phase suivante se produit un peu plus rapidement, prenant environ 12 ans pour passer de 68 répétitions à 80 répétitions CAGs. A partir de là, la cellule atteint un point de basculement où l’expansion se produit plus rapidement. En quelques années seulement, une  cellule peut passer de 80 répétitions à 150 répétitions CAGs. Ensuite, l’expansion vers des centaines de répétitions CAG peut se produire en quelques mois. Au cours de cette dernière phase, l’identité génétique des neurones épineux moyens est perdue, et la cellule commence à activer des programmes génétiques conduisant à sa mort.

Il est très important de noter qu’il s’agit d’une situation hypothétique. Aucune des valeurs temporelles mentionnées ici ne sont gravées dans le marbre et ne sont utilisées que pour décrire ce modèle. Cela ne décrit pas la situation exacte de ce qui arrive aux neurones épineux moyens dans le cerveau d’une personne ayant 40 répétitions CAG.

Il est également important de savoir que ce phénomène ne se produit pas simultanément dans tous les neurones épineux moyens du cerveau d’une personne. Il s’agit d’un processus asynchrone, ce qui signifie que les neurones épineux moyens acquièrent des répétitions CAG supplémentaires à des rythmes différents, produisant ainsi une mosaïque de longueurs de répétitions CAG. Le moment d’apparition des symptômes dépendra également fortement des facteurs environnementaux, des choix de vie et des modificateurs génétiques connus pour contribuer à l’âge d’apparition des symptômes.

Faire progresser ce que l'on sait

Ces travaux remettent en question les théories de longue date sur certaines des façons dont les scientifiques perçoivent la maladie de Huntington. Lorsque les amas de protéine ont été découverts pour la première fois à la fin des années 1990, la plupart des chercheurs pensaient que ces amas de protéine collants étaient responsables des signes et symptômes de la MH. Au fil des décennies, la réflexion dans ce domaine s’est élargie et de nombreux chercheurs estiment désormais que divers composants moléculaires contribuent à la maladie, notamment un composant qui est apporté par le matériel génétique lui-même.

Ce nouvel article se situe fermement dans le deuxième camp, selon lequel « la pathogénèse de la maladie de Huntington est un processus d’ADN », causée par l’instabilité du code génétique provoquée par un point de basculement dans le nombre de CAGS dans le gène huntingtin au sein de certains types de cellule.

Il s’agit du premier article à analyser en profondeur ces longueurs de répétitions CAG ultra longues. Les travaux précédents n’avaient permis de séquencer les répétitions CAGS qu’à 150 répétitions. Bien que l’on sache depuis 2003 que ces répétitions ultra-longues existent, les scientifiques n’ont tout simplement pas été capables de lire la séquence ADN. Il est en fait techniquement assez difficile d’obtenir des séquences précises de très longues séquences de lettres d’ADN répétitives !

Le meilleur moment pour traiter la maladie de Huntington

Le meilleur moment pour traiter la maladie de Huntington fait l’objet d’un débat houleux. Il est bien entendu toujours plus facile de préserver quelque chose plutôt que d’essayer de la restaurer. Il est donc devenu généralement admis que traiter les symptômes avant leur apparition serait le meilleur moment. Mais, cela signifie-t-il que traiter la MH après l’apparition des symptômes n’aurait aucun bénéfice ?

Il est encourageant de noter que ces nouveaux travaux suggèrent que les approches ciblant l’instabilité somatique peuvent être efficaces, même après l’apparition des symptômes. En effet, l’expansion des répétitions CAG se produit de manière asynchrone dans les neurones. Ainsi, même si certains neurones épineux moyens ont acquis tellement de répétitions CAGs qu’ils activent déjà des programmes menant à leur mort, d’autres neurones épineux moyens ne l’ont pas fait. Ce sont ceux-là qui pourraient être ciblés pour ralentir ou stopper la progression de la MH.

Qu’est-ce que cela signifie pour la diminution de la huntingtine ?

La première approche de modification de la maladie a été la diminution de la huntingtine. Après tout, on sait que la cause génétique de la maladie de Huntington est la huntintine expansée ; il est donc très logique de réduire les taux de la huntingtine expansée afin d’obtenir un gain thérapeutique.

Il existe également beaucoup d’espoir avec d’autres approches, notamment le ciblage de l’instabilité somatique. De nombreuses personnes se concentrent sur ce domaine, et on verra sans aucun doute ces approches arriver bientôt en clinique. Mais cela ne signifie pas que les chercheurs devront abandonner les approches de diminution de la huntingtine.

Les approches de diminution de la huntingtine ont connu des débuts difficiles mais on a récemment reçu des actualités positives de plusieurs essais cliniques suggérant que la diminution de la huntingtine en tant qu’approche pourrait avoir un bénéfice clinique. Ces études sont la première preuve, que les chercheurs n’aient jamais eue, que quelque chose pourrait fonctionner pour ralentir les signes cliniques de la MH.

Rappel

Il est important de rappeler à la communauté MH que ce type de travaux moléculaires approfondi est d’étudier les changements cellulaires et moléculaires dans un type particulier de cellule. Bien que le striatum soit la partie du cerveau la plus affectée par la maladie de Huntington, les neurones épineux moyens étant certainement le type de cellule le plus vulnérable, d’autres parties du cerveau et du corps sont également affectées par la MH. Dans la mesure où cet article a spécifiquement étudié le striatum, on ne sait pas encore si ces mêmes types de mécanisme liés à l’instabilité somatique sont également en jeu dans d’autres parties du cerveau et du corps.

Il serait bien que la science soit claire et nette mais malheureusement, elle ne l’est pas. L’instabilité somatique semble être un élément clé pour comprendre la MH mais elle n’est probablement pas le seul facteur de la maladie. Il est probable que différents mécanismes biologiques y contribuent. D’autres travaux suggèrent que les répétitions CAG ultra-longues ne provoquent pas la mort des cellules dans le cortex (la partie externe fripée du cerveau).

Dans la mesure où cette partie du cerveau est également affectée par la MH, cela suggère que l’instabilité somatique n’est pas la seule chose sur laquelle les chercheurs devraient se concentrer. La diversification des approches thérapeutiques, telles que la diminution de la huntingtine et le ciblage de l’instabilité somatique, est donc la meilleure option.     

Traduction Libre (Dominique C . - Michelle D.)

Source :   - Article du Dr Sarah HERNANDEZ du 20 janvier 2025