Régulation de la répétition CAG dans le cadre de la maladie de Huntington

Maîtriser les répétitions CAG pourrait permettre de ralentir la progression de la maladie de Huntington.
Mis en ligne le 13 décembre 2023 


De nombreuses maladies sont causées par des séquences ADN répétitives. Comprendre la régulation de ces séquences répétitives pourrait être la clé du développement de traitements contre la maladie de Huntington. Une équipe de Toronto vient de faire progresser nos connaissances.

« L’expansion somatique » est un sujet brûlant dans le cadre de la recherche sur la maladie de Huntington. Celle-ci est un processus dans lequel les répétitions CAG s’allongent dans certaines cellules au cours du vieillissement. Un groupe de chercheurs de Toronto au Canada a récemment identifié des protéines qui pourraient jouer un rôle important dans la régulation de ce processus. Comprendre comment ces protéines régulent l’expansion somatique dans la maladie de Huntington pourrait être la clé du développement de traitements pour les maladies à répétions CAG.

   La répétition

La maladie de Huntington est référencée comme une « maladie à expansion de répétitions CAG » - elle est causée par une augmentation du nombre de répétitions CAG dans le gène huntingtin. Tout le monde possède le gène huntingtin – en fait, tout le monde possède même une séquence ADN répétitive dans son gène huntingtin. C’est juste que les personnes qui développeront la MH ont davantage de CAGs dans son gène huntingtin que les personnes n’étant pas porteuses de la mutation MH.

Mais la MH n’est pas la seule maladie causée par les répétitions de CAG. Il existe plus de 70 maladies différentes associées à la dégradation des cellules nerveuses causée par des séquences ADN répétitives ! D’une certaine manière, c’est bien car nous pouvons regarder vers la recherche dans le cadre de ces autres maladies et trouver des similitudes pour en apprendre davantage s’agissant de la MH.

Point commun à bon nombre de ces maladies causées par des séquences ADN répétitives : l’instabilité somatique, également appelée « expansion somatique ». Il s’agit d’un phénomène biologique au cours duquel une séquence ADN répétitive s’agrandit dans certaines cellules à mesure que la personne vieillit. On pense que cette expansion continue de la séquence CAG responsable de la maladie de Huntington contribue à accélérer la progression de la MH. HDBuzz a récemment publié au sujet de l’expansion somatique, que vous pouvez lire ici ( article du 31 octobre 2023).

Pour la MH, l’expansion somatique des séquences CAG répétitives dans le gène huntingtin se produit de préférence dans les cellules cérébrales. Plus précisément dans les cellules cérébrales qui sont susceptibles de mourir à mesure qu’une personne atteinte de la MH vieillit. De nouvelles recherches scientifiques semblent suggérer que si nous parvenons à maîtriser l’expansion perpétuelle de CAGs dans le gène huntingtin, nous pourrions peut-être maintenir les cellules cérébrales en bonne santé et retarder le moment d’apparition des symptômes. Dans un monde parfait, le pousser dans le domaine du jamais. Mais pour ce faire, nous devons d’abord comprendre les détails biologiques complexes derrière l’expansion somatique dans la MH.

    Comment les CAGs sont-ils ajoutés ?

L’ADN est constitué de deux brins complémentaires de matériel génétique, créant une double hélice. Cela peut évoquer des images d’un ruban entrelacé tournant doucement. Chaque brin contient des lettres d’un code génétique – C, A, G ou T – qui s’imbrique avec le code génétique sur le brin complémentaire comme une pièce de Légo.

Lorsque les cellules doivent produire une protéine codée par un certain gène, les brins d’ADN sont déroulés, et les pièces de Légo sont débloquées. Une fois la protéine produite, les brins d’ADN s’entrelacent à nouveau et les brins complémentaires retrouvent leurs partenaires alphabétiques d’origine.

Toutefois, lorsque l’ADN contient une séquence répétitive, comme un long brin de CAGs répété encore et encore, il peut être difficile de discerner exactement quelle pièce de Légo est allée à quel endroit. Cela peut entraîner un désalignement d’une partie du code génétique et son entrelacement avec le brin complémentaire au mauvais endroit. Cela créé une structure en boucle – un brin est bien droit, et l’autre contient un morceau d’ADN en boucle sans partenaire. Il s’agit d’un grand non-non en biologie cellulaire.

Il y a une raison pour laquelle votre esprit évoque le ruban entrelacé aux côtés lisses lorsqu’est mentionnée la « double hélice ». Les brins d’ADN se lient toujours à leur partenaire complémentaire. L’ADN n’est jamais en simple brin. Lorsque c’est le cas, les protéines interviennent immédiatement, découpant ou ajoutant de l’ADN à la structure en boucle qui menace la forme naturelle élégante et légèrement tordue de l’ADN.

Souvent, afin de s’assurer que les brins d’ADN correspondent à nouveau parfaitement avec leurs homologues alphabétiques, des lettres supplémentaires sont ajoutées – comme l’ajout de pièces Légo supplémentaires pour être sûr que chaque pièce s’aligne avec les pièces correspondantes de l’autre côté. Cela garantit que les deux brins d’ADN ont des partenaires correspondants de chaque côté. Pour le gène huntingtin, cela peut signifier que des répétitions CAG supplémentaires sont ajoutées et l’expansion de répétitions CAG devient plus longue. La conséquence est souvent l’apparition précoce des symptômes MH. Comprendre comment les cellules décident de découper et ou d’ajouter des lettres d’ADN à la structure en boucle pourrait être la clé pour comprendre l’expansion somatique, et pour contrôler celle-ci.

   Les décisions d'éditions cellulaires définies

Les chercheurs de l’hôpital pour enfants malades à Toronto au Canada ont récemment identifié des protéines qui jouent un rôle clé dans le processus décisionnel cellulaire consistant à découper ou à ajouter de l’ADN aux boucles. Ces travaux, dirigés par les Docteur Terrence Gall-Dunca et le Docteur Christopher Pearson, ont été récemment publiés dans une prestigieuse revue scientifique Cell. Les travaux de l’équipe des enfants malades enrichissent nos connaissances sur l’instabilité somatique dans le cadre de la maladie de Huntington tout en identifiant des protéines qui pourraient être ciblées à des fins thérapeutiques.

L’équipe a décrypté les données scientifiques derrière une protéine appelée RPA : protéine de réplication A. Le travail de cette protéine dans les cellules est de lier l’ADN lorsque l’hélice est déroulée et qu’il s’agit d’un seul brin. Il existe une version différentes de la protéine de réplication A qui est unique chez l’homme et les singes, créant une version alternative de cette protéine, appelée Alt-RPA. Ces deux versions, RPA et Alt-RPA, se lient aux boucles d’ADN, comme celles créées lorsque les CAGs ne peuvent, dans le gène huntingtin, trouver leur correspondant lorsque les brins ADN sont séparés.

Les expériences relatées dans ce nouvel article montrent que lorsque les cellules possèdent davantage de protéines Alt-RPA, les expansions CAG deviennent plus grosses. Mais lorsque la version standard de la protéine RPA est présente, moins d’expansions CAG sont ajoutées. Ainsi, il semble que la protéine Alt-RPA contrôle la décision cellulaire d’ajouter de l’ADN aux boucles alors que la protéine RPA décide de découper !

Quelque chose d’autre intéressant s’agissant de cette découverte : la protéine Alt-RPA est uniquement présente chez les singes et l’homme avec de très forts niveaux constatés chez l’homme – la seule espèce à avoir la maladie de Huntington. Cela peut être un début pour comprendre pourquoi la MH affecte spécifiquement et uniquement l’homme.

L’équipe a fait une étude d’interaction à grande échelle pour étudier d’autres protéines avec lesquelles les protéines RPA et Alt-RPA interagissent. Ils ont constaté que la protéine Alt-RPA interagissait spécifiquement avec des protéines qui régulent l’instabilité des répétitions CAG ! Une des protéines les plus frappantes identifiées qui interagit spécifiquement avec la protéine Alt-RPA était la protéine MSH3.

La protéine MSH3 est un important régulateur de l’âge d’apparition de la maladie de Huntington et a été initialement identifiée à partir d’échantillons donnés par des milliers de familles MH pour une étude appelée GeM-HD. Le fait d’avoir de nombreux échantillons des familles MH, issus d’études telles GeM-HD et Enroll-HD, a rapidement avancé l’identification de gènes modifiant l’âge d’apparition des symptômes, tels que le gène MSH3. Ces nouveaux travaux de l’équipe des enfants malades pourraient être le lien pour comprendre comment MSH3 est utile pour contrôler l’expansion somatique dans le gène huntingtin.

L’équipe a testé les effets de la modification des taux de la protéine RPA chez les souris qui modélise une maladie similaire à la MH – l’ataxie spinocérébelleuse (SCA1), laquelle est également causée par une répétition CAG. Lorsqu’ils ont augmenté les taux dans la version standard de la protéine Alt-RPA, les symptômes de la SCA1 des souris se sont améliorés, en ce compris l’instabilité de leurs répétitions CAG.

Qu'est-ce que tout cela signifie-t-il pour la maladie de Huntington ?

Il existe plusieurs compagnies qui travaillent actuellement sur des médicaments en tant qu’option de traitement pour la MH ciblant la protéine MSH en tant que modificateur associé à l’instabilité somatique. La compagnie Voyager Therapeutics travaille sur le développement d’un virus inoffensif, ciblant la protéine MSH3, qui peut être injecté dans le sang pour atteindre le cerveau. La compagnie LoQus23 Therapeutics travaille pour cibler la protéine MSH en utilisant des petites molécules qui pourraient être administrées sous forme de pilule. La compagnie Pfizer a également pris le train de la protéine MSH3 et teste des médicaments pour s’orienter vers des essais cliniques.

Ces nouveaux résultats de l’équipe des enfants malades ne signifient pas pour autant que nous sommes prêts à ajouter des protéines RPA ou Alt-RPA à la gamme de médicaments. Ces travaux devront encore être testés chez les souris qui modélisent la MH pour déterminer si les modifications de ces protéines peuvent améliorer les effets moléculaires et comportementaux associés à la MH. Toutefois, ils rapprochent le monde de la recherche de la compréhension du mécanisme précis qui contrôle l’instabilité somatique. Savoir exactement comment les cellules prennent la décision d’ajouter ou de couper l’ADN, lorsque s’est formée une structure en boucle, ouvre la porte à la conception de davantage de médicaments à tester dans le cadre d’essais, pas seulement ceux ciblant la protéine MSH3.

Traduction Libre (Dominique C . - Michelle D.)

Source :   - Article du Dr Sarah HERNANDEZ du 30 novembre 2023