Sur les familles et leurs secrets - De Marcela Gargiulo et Alexandre Dürr

Les secrets peuvent interférer avec le devoir d'informer.
Mis en ligne le 15 mars 2020


Le réseau européen sur la maladie de huntington (EHDN) a voulu illustrer ce sujet avec une étude de cas clinique.

Un homme âgé de 64 ans à risque MH n’a jamais voulu informer ses enfants sur son risque ou sur le décès de sa mère suite à la maladie de Huntington. Depuis que son épouse est décédée, cela fait de lui la seule personne à posséder cette information. Ayant reçu un diagnostic de cancer métastatique, ses pensées se tournèrent vers sa propre fin et il a décidé de réaliser le test présymptomatique pour la maladie de huntington. Compte tenu de son âge, il était sûr de découvrir qu’il n’était pas porteur mais, à sa surprise, le test a révélé qu’il l’était – son gène huntingtin hébergeant une petite, mais toutefois pathologique, séquence de répétitions CAG. 

Après plusieurs entretiens avec notre équipe de conseil génétique, il est resté déterminé à ne mentionner son résultat que dans son testament, lequel serait lu après son décès par son fils – un médecin.
« Cher fils », écrit-il, « j’étais porteur de la mutation génétique responsable de la maladie de Huntington. Cela vous concerne tous, y compris vos enfants. Veuillez me pardonner. Papa ». 

Que pouvons-nous apprendre de ce cas ?
La réponse de ce monsieur, concernant son risque, a été fortement influencée par son histoire familiale car la maladie de Huntington était fort stigmatisée et avait toujours été tenue secrète au sein de sa famille.
Celui-ci a également été façonné par sa personnalité,  il s’agissait d’une personne pour qui projeter une image sans tâches d’elle-même était très importante.
Enfin, son concept de responsabilité parentale l’obligeait avant tout à protéger sa famille de toute information susceptible de détruire l’avenir de ses enfants.

Son cas illustre comment le refus de dire la vérité n’est pas toujours le résultat de l’indifférence ou de la négligence de l’autre, cela peut également provenir de la peur de nuire à l’autre, ce qui en fait un « mensonge par amour » selon les mots de ce père en particulier. On peut légitimement se demander si la protection de sa famille n'était qu'un prétexte pour préserver son image de soi.

Une étude réalisée l’année dernière par notre groupe apporte un éclairage à ce sujet (RISQUinfo, Durr et Gargiulo 2019). Nous avons constaté que seulement 48% des personnes issues de familles MH avaient été informées de leur risque par leurs parents. Le cas que nous avons décrit n’est donc pas exceptionnel, et l’information des enfants de leur risque MH demeure un tabou dans de nombreuses familles.

L’absence d’information des enfants n’est-elle pas un mensonge ?
Un mensonge est une affirmation délibérée de fausses informations, fait dans l’intention d’induire en erreur. Certains types de mensonges sont généralement considérés comme moralement admissibles – les mensonges pieux qui maintiennent la paix, par exemple, et les mensonges blancs (ce que l’on dit n'est pas faux en soi, mais tait une bonne partie de la vérité) qui n’ont aucune conséquence.

Mais il existe d’autres types de mensonges qui, bien que motivés de façon altruiste, affectent la vie des autres et ont des conséquences. Ces mensonges proviennent d’un décalage entre l’image idéale que l’on se fait de soi et la réalité. Une personne qui cherche désespérément à maintenir une image idéale d’elle-même est de cette façon vulnérable au mensonge et se retrouve piégée dans son propre mensonge - organisant sa vie autour de celui-ci. C’était le cas de ce monsieur dont nous avons relaté l’histoire. Incapable de dire la vérité à sa famille de son vivant, il a condamné celle-ci à une terrible solitude après son décès.

Le secret est souvent enfoui profondément dans les histoires familiales. Parmi les sujets souvent considérés comme tabous figurent l’orientation sexuelle, l’adoption, les enfants illégitimes, le suicide, les maladies psychiatriques et les maladies héréditaires de toutes sortes.
Lorsque le secret concerne la famille nucléaire (forme de structure familiale fondée sur la notion de couple), il peut perturber l’harmonie du foyer qui devrait être un lieu de confiance, de loyauté et de soutien mutuel.
Certains secrets sont inoffensifs mais d’autres peuvent constituer une menace physique et morale. C'est le cas des maladies génétiques lorsque la rétention d'informations met les autres en danger ou les empêche de faire des choix éclairés.

Les secrets sont gardés en vie du fait de l’incapacité d’accepter que notre existence, et celle de ceux que nous aimons, est rarement à la hauteur de nos idéaux. Et puisque cette incapacité fait partie de la nature humaine et que les secrets de famille sont au cœur de la vie familiale depuis la nuit des temps, nous pensons qu’il est irréaliste de penser que les personnes pourraient ne jamais être convaincues d’informer leurs descendances d’un risque génétique si leur profonde conviction était qu’il valait mieux de ne pas le faire.

Marcela Gargiulo est psychologue clinicienne et Alexandra Durr est généticienne clinicienne à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.

Point de vue de neurologue
Patrick Weydt, coprésident, Comité exécutif de EHDN

Pour un neurologue, prendre soin d'un patient atteint de la MH commence souvent par annoncer de mauvaises nouvelles. Parfois, le diagnostic est attendu ou redouté depuis de nombreuses années, parfois il vient de nulle part. Il n'est jamais le bienvenu.

Lorsqu’il informe une personne du diagnostic génétique ou clinique, le neurologue doit être attentif au droit de savoir de la personne et à son droit tout aussi important de ne pas savoir. Equilibrer éthiquement ces deux propositions mutuellement incompatibles dans un cas individuel est bien sûr difficile. Une bonne relation entre le médecin et le patient est essentielle afin que le patient prenne le temps de découvrir son besoin de savoir – ou pas.
La maladie de Huntington étant une maladie à transmission autosomique dominante qui suit les lois fondamentales et bien connues de la génétique, un résultat positif au test a immédiatement des implications pour les plus proches parents de la personne testée. Dans la mesure où chacun d’eux peut se positionner différemment quant à son droit de connaître son statut à risque, ou de ne pas connaître, cela peut créer des dilemmes. Un parent peut ne pas vouloir connaître son statut génétique ou sa maladie, par exemple, tandis que son enfant adulte peut avoir des raisons impérieuses de l’apprendre.
Souvent, les différents membres d’une famille sont pris en charge par différents spécialistes : un patient symptomatique est suivi par un neurologue ou un psychiatre alors que les personnes asymptomatiques, à risque peuvent être conseillées par un généticien.
S’il n’est pas toujours possible de résoudre de tels conflits d’intérêts à la satisfaction de toutes les personnes concernées, une relation de travail étroite entre spécialistes peut aider à désamorcer des situations problématiques sans compromettre la confidentialité des patients.

En outre, il existe des différences culturelles ou nationales dans la manière dont l'équilibre est géré entre le droit de savoir et celui de ne pas savoir. En Allemagne, par exemple, les informations génétiques non-connues sont explicitement protégées par la loi, tandis que dans d'autres pays européens, elles ne le sont pas.

Un moyen pratique d’améliorer l’expérience de test pour ceux qui le subissent est de mettre en place des équipes en tandem composées d’un généticien et d’un neurologue ou psychiatre, lesquels fournissent ensemble les informations diagnostiques. Cela nécessite un bon travail d’équipe entre spécialistes mais cela signifie que la personne recevant le résultat du test ne soit pas perdue entre deux systèmes lorsqu'elle a besoin de tout le soutien qu'elle peut obtenir.

Avec l’utilisation de tests génétiques prédictifs à la hausse à la suite d'essais de thérapies de silençage génique potentiellement efficaces, ces énigmes deviendront probablement plus courantes plutôt que moins. Une communication ouverte et respectueuse de la confidentialité des patients est la meilleure voie à suivre.

Traduction libre (Dominique C - Michelle D.)

Source : Articles publiés dans la revue EHDN News n° 39 du mois de mars 2020